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Boulangerie et danger de la déspécialisation non autorisée, les conseils de votre avocat à Bordeaux

Boulangerie et danger de la déspécialisation non autorisée, les conseils de votre avocat à Bordeaux

Le bail commercial est le titre, le contrat, qui autorise l’artisan ou le commerçant à exercer son activité dans un local commercial qu’il loue à cet effet.

Mais pour y faire quoi, au juste ? 

Tout ce qu’il veut aujourd’hui et tout ce qu’il voudra demain ?

Dans ce cas particulier, le bail commercial sera dit « tous-commerces », mais à l’exception toutefois des activités qui seraient prohibées par un règlement de copropriété par exemple.

En général, quand un bail tous-commerces a été conclu (bail tous-commerces total ou tous-commerces « sauf certaines activités limitativement énumérées ») le montant du loyer est à la hauteur de l’espoir de développement de l’entreprise : très cher ! Car ce bail commercial a une valeur intrinsèque en totale déconnexion avec la valeur du fonds de commerce ou du fonds artisanal. Il peut être cédé, indépendamment de l’entreprise, à toute personne souhaitant exercer une toute autre que celle, par exemple de boulangerie pâtisserie : boucherie, agence d’intérim, prêt-à-porter, restaurant, agence immobilière… sans avoir à recueillir l’accord du propriétaire sur le changement d’activité. Et de la même façon le locataire pourra adjoindre toutes les activités complémentaires (annexes ou connexes ou nouvelles) qu’il souhaitera, sans aucun souci.

Mais au cas particulier, dans la majeure partie des baux commerciaux conclus par les artisans et les petits commerçants ou les petites entreprises, le bail contient une clause restrictive relative à l'activité qui sera exercée : on peut parler alors d’un bail « restreint ».

Alors mieux vaut rester « dans les clous », au risque d’une résiliation judiciaire du bail commercial ou d’un refus de renouvellement sans paiement d’une indemnité d’éviction.

Aussi, pour permettre l'adaptation du bail à l’activité du locataire nécessité par des choix stratégiques ou économiques, voire des contraintes liées à la concurrence, le locataire pourrait simplement vouloir modifier une partie de l'activité autorisée par son bail.

Il peut le faire, et en général il le fait.

Mais le fait-il bien ?

En effet lorsque le commerçant ou l’artisan souhaite modifier l’activité autorisée par le bail (souvent décrite à l’article intitulé « destination »), il convient en premier lieu de relire son bail et de respecter la procédure qui y est décrite et, à défaut, de respecter les termes des dispositions spéciales du Code de Commerce : il doit faire une demande de « déspécialisation partielle ». Pour que cette déspécialisation soit acceptée, il faut nécessairement que l'activité adjointe soit connexe... ou complémentaire…

Qu’est-ce ?

La déspécialisation est le fait, pour le titulaire d'un bail commercial, d'adjoindre à son activité principale (décrite dans le bail) des activités connexes ou complémentaires ou d'exercer une ou plusieurs activités différentes de celles prévues au contrat. L'extension de l'activité du bail est appréciée en fonction de l'activité d'origine. Cette dernière doit donc être bien définie dans le bail.

L’article L145-47 du Code de Commerce indique très précisément que « Le locataire peut adjoindre à l'activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires.

A cette fin, il doit faire connaître son intention au propriétaire par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, en indiquant les activités dont l'exercice est envisagé. Cette formalité vaut mise en demeure du propriétaire de faire connaître dans un délai de deux mois, à peine de déchéance, s'il conteste le caractère connexe ou complémentaire de ces activités. En cas de contestation, le tribunal judiciaire, saisi par la partie la plus diligente, se prononce en fonction notamment de l'évolution des usages commerciaux.

Lors de la première révision triennale suivant la notification visée à l'alinéa précédent, il peut, par dérogation aux dispositions de l'article L. 145-38, être tenu compte, pour la fixation du loyer, des activités commerciales adjointes, si celles-ci ont entraîné par elles-mêmes une modification de la valeur locative des lieux loués. »

Ainsi, la procédure de déspécialisation implique une information ou une demande préalable adressée au bailleur. Les conséquences sont différentes selon que la procédure sera ou non régulière.

Le locataire doit faire connaître son intention au propriétaire par acte extrajudiciaire (huissier de justice) et indiquer les activités dont l'exercice est envisagé. Le locataire doit bien faire figurer dans l'acte les nouvelles activités envisagées (description aussi précise que possible).

Cette formalité vaut mise en demeure du propriétaire de faire savoir, dans un délai de deux mois, à peine de déchéance, s'il conteste le caractère connexe ou complémentaire de l'activité (article L145-48 du Code de Commerce).

Le locataire ne peut, en aucun cas, exercer une nouvelle activité connexe ou complémentaire sans avoir reçu une réponse de la part du bailleur avant l'expiration du délai de deux mois. La déspécialisation partielle étant un droit, le bailleur n’est obligé de répondre que s'il entend contester cette déspécialisation ; mais il peut aussi répondre par l’affirmative ou le conditionnel...

Si le bailleur refuse la déspécialisation partielle, il doit agir dans un délai de deux mois pour faire connaître son refus (par courrier, par acte d’huissier), c’est à dire contester le caractère connexe ou complémentaire des activités envisagées, aucun autre motif ne pouvant justifier son refus.

Et à défaut d’accord entre le bailleur et le locataire, ce sera le Tribunal Judiciaire (ancien TGI) qui tranchera en fonction notamment de l'évolution des usages commerciaux et de la définition précise de l’activité autorisée et de celle(s) voulue(s). Le Tribunal pourra accepter la déspécialisation partielle demandée par le locataire (l'extension d'activités pourra avoir lieu) ou il pourra la refuser. Dans ce cas, le locataire pourra dans un second temps présenter au bailleur une demande de « déspécialisation plénière » pour activité distincte.

Il est donc primordial, lors de la conclusion du bail commercial ou lors des négociations dans le cadre d’un renouvellement ou de l’achat d’un fonds de commerce ou d’un fonds artisanal, de bien préciser l’activité autorisée, dans toutes ses déclinaisons, par exemple : « boulangerie – pâtisseries – viennoiserie - chocolaterie – glacier - snacking - traiteur sucré salé – vente à emporter ou à consommer sur place – boissons alcoolisées ou non » et non pas seulement « boulangerie pâtisserie » ; et en second lieu il est fondamental de bien définir ces notions de connexité et de complémentarité afin de déterminer quelles activités pourront être adjointes à une activité déjà existante.

 

Selon la jurisprudence (recueil des décisions de justice ayant autorité), différents critères peuvent être retenus, par exemple l'activité sera déclarée connexe ou complémentaire s'il y a le même type de clientèle, la même gamme de produits, de matières premières, une similitude des méthodes de travail n’exigeant pas d’équipement nouveaux ou de salariés spécialisés, etc... et obligatoirement l'activité principale doit être maintenue, sinon ce serait une « déspécialisation totale ou plénière». Par contre peu importe si après la nouvelle activité devient prépondérante.

Ainsi, par exemple, l'activité de rôtisserie et de revente de produits de charcuterie est complémentaire ou connexe de l'activité de boucherie, mais pas l’activité de charcuterie ! De même l’activité de viennoiseries est complémentaire de celle de boulangerie.

Par contre, la pâtisserie, la vente de chocolat et de confiserie, le snacking, la vente à consommer sur place (…) n'est pas une activité connexe ou complémentaire de l'activité traditionnelle et exclusive de boulangerie (ou boulangerie-viennoiserie) !

De surcroît, l'essentiel des décisions de jurisprudence se borne à admettre ou à refuser le caractère connexe ou complémentaire d'une activité nouvelle dans des décisions qui relèvent souvent du « cas par cas » et ne sont pas toujours très évidentes à comprendre ou à justifier faute « d’uniformisation » des décisions…

En effet et comme déjà indiqué, le caractère complémentaire s’entend d’une activité qui, sans être en rapport intime avec l’activité autorisée au bail, en est le complément, c’est à dire le prolongement raisonnable permettant au locataire un meilleur exercice de l’activité principale afin de mieux se défendre contre la concurrence et de suivre non seulement l’évolution technique mais également l’évolution des usages commerciaux et des attentes de la clientèle ; deux activités sont complémentaires lorsqu’elles se font mutuellement valoir ; est complémentaire, non seulement ce qui sert de complément mais également ce qui s’ajoute à une chose pour qu’elle soit complète et parfaite ; le lien de complémentarité s’entend d’activités nouvelles, accessoires, susceptibles de favoriser le développement de celles qui sont déjà exercées sans en modifier la nature ou qui sont nécessaires à un meilleur exercice de l’activité principale.

Alors que le caractère connexe à une activité, est l’activité qui a un rapport étroit avec elle, intime, intrinsèque ; le lien de connexité suppose une similitude ou une dépendance des activités en cause et des méthodes de travail qu’elles impliquent ;

Pour que deux activités soient connexes entre elles, ou que l’une soit complémentaire de l’autre, il faut que ces activités ne soient pas différentes par leur nature, leur mode d’exploitation, leur installation et le genre de clientèle à laquelle ils s’adressent.

En général, il ressort des jurisprudences (par exemple, Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, 12 janv. 2016, n° 15/00210) que pour apprécier le caractère connexe ou complémentaire de l’activité initiale, il convient d’apprécier les éléments suivants :

  •  le produit est de même nature que le produit initial ou répond aux mêmes besoins,
  •  le produit vendu s’adresse à la même clientèle que la clientèle initiale,
  •  le produit vendu s’utilise ou peut s’utiliser habituellement avec le produit initial,
  •  le produit vendu s’exploite dans les mêmes conditions que le produit initial.

 

C'est ainsi qu'il a été admis que la vente de boissons non alcoolisées, de quiches lorraines, de croques monsieur et de pizzas était incluse dans l'activité de « boulangerie-pâtisserie » (CA Versailles, 12è ch., 12 janv. 1995), alors qu’il a pu être jugé qu'un bail consenti pour l'activité de « boulangerie et pâtisserie » n'incluait pas et ne permettait pas la vente de boissons (Cass. Civ. 3ème 21 nov. 1995).

Enfin, il doit être précisé que dans l'hypothèse où le locataire a modifié l'activité de son bail de manière partielle sans en informer le bailleur (ce qui dans les faits arrive trop souvent), le bailleur est en droit de refuser le renouvellement du bail lorsque celui-ci arrive à échéance sans être tenu au paiement d'un indemnité d'éviction (article L. 145-17 du Code de commerce). Les juges apprécient toutefois souverainement si ce manquement est de nature à justifier le refus de renouvellement du bail. De manière générale, la jurisprudence retient que toute extension de l'activité du bail sans information préalable du bailleur constitue un manquement de nature à justifier le refus de renouvellement (Cass. Civ. 3ème 24 octobre 1990).

En dernier lieu un arrêt de la 3ème Chambre civile de la Cour de Cassation du 26 mars 2020 (pourvoi n° S 18-25893) a jugé que le bailleur était fondé à demander la résiliation du bail pour modification de la destination des lieux dans le cas suivant :

Des locaux sont loués à usage de « boulangerie-pâtisserie, sandwicherie, rôtisserie, pizzas et autres plats à emporter, et de glaces, bonbons, frites et boissons fraîches à emporter, à l'exclusion de tous autres commerces et de toutes activités bruyantes, dangereuses et malodorantes ». Le locataire ayant installé des tables et des chaises à côté du magasin, le bailleur demande la résiliation du bail pour modification de la destination des lieux (articles 1728 et 1741 du Code Civil). Une cour d'appel juge que l'installation de chaises et tables sur une terrasse située sur le domaine public, qui n'affecte pas les lieux loués et permet à la clientèle de consommer sur place les seuls produits prévus au bail, ne constitue pas une modification de l'activité convenue. Mais la Cour de cassation censure cette décision car l'installation de tables et de chaises à côté du magasin permettait au locataire, en offrant aux clients la possibilité de consommer sur place les produits achetés, d'exercer une activité de petite restauration sur place distincte de la vente à emporter, seule autorisée par le bail !

Dans ce cas particulier, la cour d'appel avait cru pouvoir juger que la modification de la destination des lieux loués s'apprécie au regard de la nature de l'activité effectivement exercée et non pas au regard des conditions dans lesquelles elle est exercée. La Cour de cassation ne l'a toutefois pas suivie dans ce raisonnement : la consommation sur place de produits de boulangerie s’apparentant à la petite restauration, elle n'est pas incluse dans la vente à emporter.

Ainsi, l’intervention de l’Avocat est primordiale pour l’appréciation du risque tant comme Conseil Juridique lors de la conclusion du bail puis lors de l’élaboration de la stratégie à soumettre ou non au bailleur, que comme Défenseur dans le cadre d’une procédure judiciaire qui, de toute évidence, doit être absolument évitée, car – rappelons-le – tant qu’il n’y a pas accord du bailleur pour la déspécialisation (adjonction d’une activité complémentaire et/ou connexe) cette dernière ne peut pas être exercée au risque de la résiliation judiciaire du bail commercial !   

Tout est donc question d’analyse du bail commercial, du respect des procédures, de l’étude concrète de l’activité autorisée et de son activité réelle, de l’étude de la nature de l’adaptation de l’activité aux réalités économiques et à leur évolution tout comme à l’évolution des habitudes ou des attentes des clients, l’évolution concurrentielle… de recherche de jurisprudences…

En conclusion, je vous conseille vivement d’obtenir toujours un accord préalable écrit du bailleur pour compléter, étendre ou préciser votre activité, à défaut de description suffisamment large et imaginative de votre activité à l’article « destination » de votre bail commercial. Donc, votre Avocat doit intervenir dès avant la signature d’un bail commercial !

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Didier Saillan, Avocat à la Cour de Bordeaux
Artisan du Droit
AVOCACTION
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