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Séquestre du prix de vente et fonds de commerce

Séquestre du prix de vente et fonds de commerce

Vendre son fonds de commerce ou artisanal, c’est bien, en percevoir immédiatement le prix, ce serait mieux

Mais c’est impossible car ce prix de vente, cet argent, est le gage des créanciers de l’entreprise et de l’entrepreneur, que l’entreprise soit en société ou non. Ce prix est remis à un tiers de confiance qui s’appelle un SÉQUESTRE. Sa mission est parfaitement bien définie dans la Loi.

Ainsi, le séquestre obligatoire du prix d’une vente de fonds de commerce est extrêmement important pour, paradoxalement, l’acquéreur du fonds ! En effet, afin de lui garantir qu’il n’aura pas à subir le paiement d’un supplément de prix, en vertu du principe de solidarité entre vendeur et acquéreur pour le paiement de certaines dettes fiscales (article 1684 CGI). Et bien entendu pour le vendeur dont les créanciers publics et privés pourront directement se faire payer sur le prix de vente (après vérification bien entendu).

Pour ce faire la Loi a organisé l’information données aux créanciers qui vont alors disposer d’un délai pour faire « opposition à la distribution du prix de vente » :

1/ Dans le mois de la signature de l’acte de cession, l’acte doit être enregistré au Service de l’Enregistrement du Service des Impôts Entreprises (avec versement de droits qui peuvent être très importants),

2/ Après quoi (dans les 15 jours de la vente en théorie) la vente fait l’objet d’une publication dans un journal d’annonces légales du département ;

3/ L'acheteur doit solliciter le greffier du tribunal de commerce dans un délai de 3 jours suivant la publicité N°2 afin que celui-ci publie un avis au sein du Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC = publicité nationale) ; la publication permet aux créanciers de l'ancien propriétaire du fonds de s'opposer pendant dans un délai de 10 jours au paiement du prix de vente entre les mains de celui-ci. Une opposition qui est faite après ce délai est nulle et sans effet (en principe).

4/ Enfin, les formalités auprès du Centre de formalité des entreprises de la Chambre de commerce ou de la Chambre de métiers valent de nouveau information de la vente auprès de l’administration fiscale qui ouvre le délai de 3 mois (90 jours) de solidarité entre le vendeur et l’acquéreur, à compter de la date d’acceptation du dossier par le CFE.

Le vendeur doit alors procéder très rapidement (voire parallèlement aux publicités 1. 2. et 3.) à la déclaration à l’administration fiscale (pour les contribuables assujettis à un régime réel d’imposition), dans le délai de 60 jours de la publicité 1, de son bénéfice réel, à défaut de quoi il risquerait que le fisc fasse une opposition forfaitaire sans lien avec la réalité (mais qui pourra être ultérieurement contestée, ce qui repoussera d’autant la libération complète du prix).

Donc, après que toutes les formalités auront été faites, en tout état de cause le séquestre ne pourra pas remettre le prix de la vente au vendeur avant la fin des délais d’opposition des créanciers, à savoir un délai de 105 jours à partir de la date de la vente, le temps que toutes les formalités soient accomplies. Ce délai pourrait être prolongé de 60 jours lorsque le vendeur ne dépose pas sa déclaration de bénéfice réel auprès des services des impôts dans les 60 jours qui suivent la date de publication de la vente au Bodacc = total 165 jours = 5 mois ½. D’où l’intérêt de faire plusieurs formalités en même temps pour restreindre le délai de séquestre à 105 jours.

Bien entendu, la créance de l’opposant doit être certaine (sans caractère litigieux), peu importe qu’elle soit exigible ou non. Sauf les taxations d’office par le TRÉSOR PUBLIC, URSSAF et CAISSES DE RETRAITE dont on sait que la régularisation des comptes se fait après coup (dans des délais indéterminés…) : d’où l’intérêt d’avoir une comptabilité à jour lors de la cession et d’avoir déposé toutes déclaration fiscale ou sociales dans les temps avec le règlement correspondant (sauf moratoire).

Les créances civiles et commerciales peuvent être naturellement contestées, à l’amiable ou auprès du tribunal compétent. Il peut même être demandé au président du tribunal de commerce de « cantonner » l’opposition à un certain montant le temps des discussions ou de la décision judiciaire, pour éviter que la totalité du prix soit « injustement » bloquée après le délai de 105/165 jours. En effet, il suffit d’un seul opposant pour que la totalité du prix de vente soit bloquée !

Il faut savoir aussi qu’en ce qui concerne l’administrationfiscale, elle peut s’opposer au paiement du prix sans être soumise au délai d’opposition de 10 jours après, car le Livre des Procédures Fiscales permet, passé ce délai, de procéder par voie d’avis à tiers détenteur (ATD). Et là est le risque de libérer trop tôt le prix, car la solidarité fiscale entre le vendeur et l’acquéreur (article 1684 du CGI) permet à l’administrationfiscale de réclamer à l’un quelconque du vendeur ou de l’acquéreur le solde de l’impôt sur le revenu dû par le vendeur au titre des bénéfices réalisés durant l’année ou l’exercice en cours jusqu’au jour de la vente et durant l’année ou l’exercice précédant la vente si ces bénéfices n’ont pas été déclarés par le vendeur à la date de la vente ! Il en est de même de l’impôt sur les sociétés, de la TVA…

Ainsi, d’une façon générale, on peut dire que le SÉQUESTRE permet de garantir d’être payé, (sauf insuffisance de prix qui se traduira par une procédure quasi judiciaire particulière appelée PROCÉDURE DE RÉPARTITION et PROCÉDURE DE PURGE) dans des délais assez restreints et avec une certaine sécurité. Mais passé les délais, le créancier peut encore recourir aux voies d'exécution de droit commun en passant par le tribunal (d’abord pour une saisie-attribution ou une saisie conservatoire, etc. et après par un procès et un jugement).

L'opposition a pour effet de maintenir l'indisponibilité de la totalité du prix de vente. Comme il s'agit d'un acte conservatoire, l'opposition bloque le prix du fonds de commerce, empêche le vendeur à consentir une réduction de prix (par un petit arrangement… ou par nécessité) et permet au créancier nantis ou opposant de surenchérir quand il estime que le prix d'acquisition est (anormalement ou pas) trop bas et donc qu'il ne pourra pas récupérer l'intégralité du montant de sa créance sur le prix de vente (d’où le risque qu’une partie du prix de vente convenu soit « dissimulé », c’est-à-dire payé « sous la table »). Il pourrait même exiger que le fonds soit vendu aux enchères publiques à un prix supérieur d'un sixième du prix des éléments incorporels du fonds tel qu'il est porté dans l'acte de vente, mais cette procédure judiciaire de surenchère doit être effectuée dans le délai de 20 jours après la publication de la cession du fonds de commerce au BODACC (Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales). Il existe bien entendu des moyens d’échapper à ce procès lorsque le vendeur accepte finalement de régler le créancier surenchérisseur avec des fonds provenant d‘autres sources que le prix de vente.

En conclusion, le prix de vente n’est déclaré libéré qu’à l’issue des délais d’opposition et de surenchère (du 6e ou du 10e, mais n’allons pas dans ces détails) et à l’issue du règlement des créanciers nantis et/ou opposants et d’absence de procédure judiciaire : donc a minima 105 jours et a maxima 165 jours, ou « hors d’âge » en cas de procès.

La distribution du prix par le séquestre après expiration des délais de surenchère et d’opposition se fait à l’amiable, en respectant l’ordre des créanciers en fonction de leurs garanties (leur rang) :

  • 1/ Les frais de justice.
  • 2/ Le Trésor public.
  • 3/ Le bailleur sur les éléments corporels uniquement.
  • 4/ Les contributions indirectes.
  • 5/ Le créancier bénéficiant d’un privilège de vendeur inscrit.
  • 6/ Les créanciers bénéficiant d’un privilège de nantissement inscrit.
  • 7/ L’URSSAF, les salariés et les caisses de retraite.
  • 8/ Les créanciers chirographaires ayant fait opposition dans les formes et délais légaux et qui n’ont aucun gage.  

C’est pourquoi il est essentiel de bien préparer la transmission d’entreprise, la cession du fonds de commerce, en déterminant à l’avance le passif exigible de l’entreprise, en calculant éventuellement la régularisation des impôts directs et indirects et des charges sociales diverses, de calculer les éventuelles plus-values, pour vérifier si le prix de vente souhaité sera suffisant pour au moins désintéresser les créanciers de l’entreprise. À défaut de quoi, au cas d’insuffisance de prix, malgré la procédure de répartition (avec tentatives de négociation) le dépôt de bilan serait inéluctable et la totalité du prix de vente sera remise au mandataire judiciaire, à charge pour lui de « régler les comptes » comme en matière de liquidation judiciaire.

D’où l’importance également, au cas de risque identifié ou sans risque identifié, de ne jamais libérer une partie du prix avant clôture du mandat du séquestre, même si le vendeur demande ou exige une « avance » parce qu’il n’aurait pas d’autres sources de revenus…  le séquestre serait en effet personnellement débiteur de toutes les insuffisances de prix du fait de ses fautes !

Être séquestre du prix de vente ne s’improvise pas.

 

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Didier Saillan, Avocat à la Cour de Bordeaux
Artisan du Droit
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